Category Archives: Ecologie Créative

Conférences – 10 et 11 mai 2023, Quartier Rouge, Felletin (Creuse)

Conférences de Paul Ardenne

  • 10 mai 2023, matin : Une histoire des expositions (museion, collections princières, Wunderkammer et Cabinet de curiosité, modernité et privatisation créative, institutionnalisation, biennalisation, industrie culturelle, exposer l’art fait au loin, de rue, de contexte, invisuel).
  • 11 mai 2023, matin : Exposer l’art écologique (à propos de “Courants verts”, Fondation EDF, Paris, 2021).

L’art saisi par l’écologie – Grenoble, librairie Arthaud, 4 mai 2023, 18h

Rencontre avec Jean-Pierre Saez autour de son exposition photographique consacrée aux arbres, plus d’autres questions : la pertinence d’un art écologique, ses apports spécifiques et généraux, le risque du greenwashing et la construction d’un consensus. Opérationnalité ou cosmétique d’époque ?


Grenoble, librairie Arthaud, 4 mai 2023, 18h

Publication de l’ouvrage “Un Art écologique”, Espagne, Amérique Latine en langue espagnole (novembre 2022)

La terre maillant. Poétique du plantationocène, publication FAR Nyon (Suisse), nov. 2022.

La terre maillant Poétique de la plantation par Paul Ardenne

« Au niveau le plus fondamental, il nous faut repenser la relation entre la forme et le processus. » Tim Ingold, Marcher avec les dragons

« Les formes de l’écologie ont résolument besoin de nouveaux récits pour se régénérer. »
Ainsi s’exprimait la spécialiste de l’art dit « écologique » Bénédicte Ramade il y a encore peu (en 2015), en conclusion d’une recension, pour la presse spécialisée, de plusieurs expositions d’art contemporain « vert » de la période récente 1. Qu’entendait par-là, quelque peu désabusée, cette historienne de l’art canadienne particulièrement au fait de la question 2 ? L’art environnemental, celui qui trouve sa vocation dans la défense de l’environnement et la lutte contre son actuelle dégradation, a le plus grand mal à dépasser le stade du constat, du document. Cela même, quand il ne tombe pas, plus pauvrement encore, dans l’anecdote : tel artiste récupère des sacs de plastique et en fait une montgolfière (Tomás Saraceno 3), tels autres maculent de terre sale une vieille pompe à essence (Jennifer Allora & Guillermo Calzadilla 4), la résidence d’un artiste dans la zone longtemps utilisée comme une décharge publique de Jamaica Bay, près de New York, se traduit par l’exposition dans un musée de choses trouvées sur place, déchets, éléments végétaux, minéraux (Tue Greenfort 5)… L’art environnemental manquerait-il d’imagination ? À telle enseigne, ne parlons pas de cette facilité légitimement décriée, la sublimation de la saleté, tant et plus traduite dans de belles images photographiques empruntées aux catastrophes naturelles, photogéniques car toujours spectaculaires (Daniel Beltrá, Nadav Kander, Mick Epstein…). Et pas plus, de la vogue devenue inusable du documentaire dit « d’exposition », qui n’en finit plus d’essaimer depuis les années 1990 — un genre intéressant par ses contenus mais devenu académique, trop porté de surcroît à donner des leçons de civisme, et dont les prétentions morales peuvent déranger.
Quoi donc, en tout et pour tout ? Une offre trop descriptive, trop esthétisante ou trop rhétorique, encodée dans des pratiques à présent figées à force d’être reconduites sur un mode routinier.

Le choix de l’activisme
Souhaiter l’émergence de « nouveaux récits » à toutes fins que l’art environnemental se « régénère », suggère donc Bénédicte Ramade. Est-ce toutefois si facile ?
Le problème, en vérité, pourrait bien résider dans la vocation immémoriale de l’art à représenter le monde, plutôt qu’à l’incarner. Dans la stratégie même du paraître, de la restitution, de l’interprétation figurative ou symbolique qui forme le socle de l’expression artistique. Décider, artiste, de rendre compte de la dégradation actuelle de nos écosystèmes, des méfaits de la surexploitation humaine de nos milieux de vie, des menaces engendrées par l’anthropocène est sans conteste une forme d’engagement respectable : la plus pressante qui soit, au demeurant, à en juger par les actuelles priorités de l’humanité, écologiques de fait. Le problème, c’est le comment. Plus rudement signifié : toute la difficulté de cette entreprise, supputons-le, pourrait bien résider dans l’impossibilité de l’art même, du fait de sa poétique propre, à s’extraire de l’évocation. À être autre chose qu’un regard sur le monde exercé depuis le dehors — le regard de l’éternel spectateur.
En finir avec l’artiste-spectateur du monde : cette option radicale, la modernité va l’estimer viable. Les années 1960, de la sorte, intronisent un nouveau type d’artiste, dit activiste ou mieux encore, par contraction des deux mots « art » et « activisme », «artiviste»6. Quelle position l’« artiviste » adopte-t-il ? À la « forme » (l’image, la figure expressive, le document), ce créateur las d’être un simple témoin entend ajouter voire substituer l’action concrète, en coeur de contexte (art « contextuel »). Revenons à l’art environnemental. Pour l’artiviste qui s’engage dans le combat écologique, la création en passera dorénavant par l’action de terrain. Son choix, ce ne sera pas juste « représenter » les heurs et malheurs de l’environnement aux prises avec sa dégradation croissante et les effets de la surexploitation humaine des écosystèmes. Mieux que cela, va estimer l’artiviste : ce sera agir avec l’environnement, dans celui-ci, pour celui-ci.

L’artiste-écologue
Un des artivistes les mieux repérés, depuis un demi-siècle, est l’artiste « écologue », celui qui s’applique à l’écologie pratique, en direct, qu’il se fasse jardinier, horticulteur, agriculteur, nettoyeur ou aménageur. Créer pour l’environnement, pour cet acteur qui se retrousse les manches, passe par l’intervention directe « sur » le paysage : en lui, dans sa substance physique et sociale.
Si la Terre est bien un jardin dont nous avons hérité (le « jardin planétaire » cher à Gilles Clément7) avant de le saccager comme des sauvages, alors la mission de l’artiste-écologue est définie d’office : ce que les pratiques humaines ont dénaturé, on le renature. Quelques exemples de cette renaturation en actes. En 1981, en pionnière du genre, Patricia Johanson aménage à Dallas (Fair Park Lagoon, 1981-1986) un périmètre laissé à l’abandon en bordure d’autoroute, dont elle fait un jardin. Quinze ans plus tôt, Alan Sonfist, à New York, a obtenu déjà qu’un périmètre urbain soit laissé à son libre développement naturel après qu’on y a replanté des espèces végétales de l’âge précolonial, l’occasion de voir revenir dans Big Apple des végétaux que l’urbanisation avait chassés (Time Landscape, 1965-1978-aujourd’hui). En 1982, Joseph Beuys, en Allemagne, plante 7 000 chênes avec la population de Kassel (7000 Eichen), et Agnes Denes, dans le Lower Manhattan, un champ de blé dont le fruit de la récolte sera reversé à des associations de lutte contre la faim dans le monde (Wheatfield. A Confrontation). Kathleen Miller, engagée dans une véritable guérilla écologique, bombarde les territoires ruinés par l’industrie chimique de grenades de terre humide chargées de graines (Seed Bombs, 1992) tandis que Mel Chin ouvre le cycle de ses Revival Fields (1991-aujourd’hui8), ses « champs du renouveau » : des parcelles ensemencées, dont l’ordonnancement des massifs évoqueune composition picturale minimaliste, au moyen d’espèces végétales ayant le pouvoir de capter la pollution du sol. Dans l’Hudson River, pour lutter contre la dégradation de cette grande artère fluviale, Buster Simpson immerge des blocs de calcaire absorbant une partie des toxiques (Hudson River Purge, 1983). En adeptes du cleaning, Mierle Laderman Ukele, Ha Schult et Marina DeBris nettoient villes, campagnes et plages pour en recycler les détritus, qu’ils transforment en oeuvres d’art (les vêtements dits Trashion de DeBris, faits avec des morceaux de plastique récupérés) tandis que le tandem Helene Mayer et Newton Harrison crée des fermes pilotes en matière de biodiversité et de protection des espèces menacées avec le soutien actif de biologistes et de militants du développement communautaire (Full Farm, 1974).
Cette liste, pour fort incomplète qu’elle soit, informe sur une mutation considérable, en termes de création même, voyant l’expression se lier à l’action et l’engagement mental, bien souvent, se corréler à l’engagement humanitaire. Précisons que nombre de ces entreprises sont collectives. L’artiste se fait connecteur, il oeuvre volontiers avec les populations locales, il se défait des oripeaux romantiques de son génie présumé et redescend sur le sol du réel, en tournant le dos à la posture idéaliste. Acteur oui, mais dans l’esprit d’une culture des « multitudes »9, des « communs »10, propice à profiter au plus grand nombre. Bienvenue, en somme, dans l’ère de ce que les spécialistes appellent dorénavant l’« art utile », le Useful Art, lointain héritier du réalisme de Gustave Courbet. Pour finir, on a échangé le pinceau contre la pelle.


Un rapport renouvelé aux plantes
Entre les formes d’art environnemental activiste engagées pour l’écologie concrète, la plus représentative est sans conteste celle des planteurs, dans la lignée ouverte par Johanson, Beuys, Denes, Chin ou Mayer Harrison. De l’action des artistes-planteurs naît cette forme nouvelle, jardinière, agricultrice, de pratiquer l’art, une poétique de la plantation. Celle-ci, on le pressent, se nourrit à son orée d’une attention intense portée à la végétation et par extension, au monde biologique et minéral (triade plante-animal-terrain). Le but n’est pas la seule renaturation exercée là où la nature a perdu ses droits. Un idéal de restauration écologique contre-humaine préside le plus souvent aux actions des artistes-planteurs : rétablir l’environnement dans ses droits, le déshumaniser, se positionner contre l’action anthropique destructrice des milieux. L’artiste-planteur ne confectionne pas un jardin extraordinaire, il reconstitue un milieu 11.
Il importe de dire plus qu’un mot, à cette entrée, de l’amour profond des plantes, de la haute connaissance des végétaux caractéristiques de l’artivisme planteur. Rien de nouveau il est vrai, dans le champ de l’art, à cet amour des plantes. Nombre d’artistes, dès avant l’âge classique (c’est avec la Renaissance que l’intérêt pour la flore s’affirme de façon scientifique12), se sont fait une spécialité de l’art dit « botanique », où l’on dessine et peint des végétaux avec un luxe de précision, dans le style des catalogues des muséums d’histoire naturelle. Au dessin, à la peinture des végétaux, certains artistes vont cependant préférer l’exposition même des plantes, qui deviennent des objets d’art à part entière. De nombreux artistes plasticiens, avec la fin du 20e siècle, disent ainsi leur dévotion aux plantes de la manière la plus simple qui soit : en les exposant telles quelles. Cette fois, à la différence de l’art dit « botanique » évoqué à l’instant, la plante même fait l’objet d’une présentation en plus haut lieu, galerie d’art ou musée, à l’état « de nature ».
Exemple avec Richard Solomon (États-Unis), sculpteur végétal connu comme le « chamane des semences ». Artiste de la découverte et de la collecte des végétaux, son aire de travail est, au Nouveau-Mexique, la nature et sa végétation se développant près de chez lui, à Ilfeld. Richard Solomon, avec sobriété, met en valeur les productions de la nature quasiment telles quelles, en une forme d’hommage et d’admiration. « Les plantes sont une tribu vivante, une tribu indigène. Les plantes voient la vie différemment. Elles ont des coutumes différentes. Elles parlent une autre langue. Mon art est une tentative de traduction de leur langue afin que la véritable histoire de la planète puisse être racontée. Chaque graine, la racine ou la gousse contient l’histoire de la Terre », dit l’artiste. Les compositions de plantes de Richard Solomon sont sobres, sans emphase, fragiles même — à l’image de la fragilité qui est celle des plantes à l’heure de toutes les extinctions et de toutes les monocultures que génère l’économie néolibérale globalisée caractéristique de la fin du 20e et du 21e siècles. Un herman de vries, récemment disparu (en 2016), n’aura pour l’essentiel pas procédé autrement, dans une même veine où lire d’abord le respect dû à la plante. Connu comme un des animateurs du groupe Zero (1957-1966), un collectif d’avant-garde partisan d’une peinture informelle et élémentaire, son intérêt pour la nature se décèle plus clairement à partir des années 1980 et va se traduire par l’exposition, en général élémentaire, d’éléments glanés tels qu’herbes, fleurs, pierres, bouts de bois et autres graines… herman de vries (qui refusait d’écrire son nom avec les majuscules : ne pas se dissocier du reste des choses et des êtres, demeurer commun plutôt que spécifique) limite son geste d’artiste au maximum : mise en scène, agencement, documentation,sans jamais prendre le dessus sur l’objet naturel.


Le lien à la Terre
Les artistes « végétalistes » (en matière de création) que nous citons, dans leur rapport à la plante, se positionnent en amis, ils font résolument valoir une philia, cette amitié profonde que l’on va retrouver dans la performance Tree Pose de l’artiste néerlandaise Linda Molenaar, réalisée pour la première fois en 2011. Celle-ci a recouvert sa peau d’une combinaison faite de fragments d’écorce puis prend position, immobile trente minutes durant, le sommet de sa tête appuyé contre le tronc d’un grand arbre. Espérance d’une transfusion ? D’un devenir arbre ? L’artiste précise, sobrement : « Leaning with my head to a tree for 30 min. 13 » Tree Pose est une performance notoire pour cette raison d’abord, l’intensité du lien avec le monde naturel qu’on y décèle, son fort potentiel au registre de l’Earthbound, du « terrestre » en son sens élémentaire du « lien à la terre ». L’artiste, dans ce cas, fait bien plus que représenter la nature ou qu’offrir au regard ce qu’elle produit. Elle consent, sur un mode de renonciation à soi, à abdiquer autant que faire se peut sa pars humana, sa spécificité humaine, pour faire valoir en retour une tout autre spécificité, celle d’un être non pas hybride (humain- naturel) mais si possible et dans ce cas précis, arbustif. Je renonce à l’humanité pour me faire arbre.
Toute poétique de la plantation, à l’instar du glissement ontologique propre à Tree Pose, voit l’artiste donner à la plante et à son milieu d’expansion une importance considérable, une importance, disons-le, supérieure à celle qu’il s’accorde sans doute à lui-même. L’âge écologique, à cet égard, a ceci de particulier qu’il consacre indéniablement un recul de l’humain, au bénéfice du non-humain. Anthropo-scepticisme ? Cela se pourrait bien. Comment l’humain, dans ce cas, est-il perçu ? Comme cette espèce imparfaite que la nature, au fond, a ratée. Un lapin vit sans hôpital, sans école, sans système de production. Une fougère n’a nul besoin d’un toit pour naître, croître et se développer. Un marsouin ne requiert pas de vêtements et encore moins de mode vestimentaire. Un ver de terre n’a pas d’académie. Le monde non-humain ? Il fait la preuve de sa supériorité, à travers ses vertus d’adaptation, là où le monde humain vit sans répit de mutations, de constantes reconfigurations, qu’elles soient économiques, sociétales, relationnelles, intimes. Ce qu’expriment particulièrement les curieuses performances organisées, à partir des années 2010, par un Boris Nordmann. Il peut y être demandé, à des intervenants réunis pour la circonstance, d’essayer d’incorporer mentalement et physiquement, dans leur esprit, dans leur chair, toutes les qualités biologiques, par exemple, d’une araignée 14.

Contre le plantationocène, la plantation
Revenons à nos artistes-planteurs. Ceux-ci, avec le 21e siècle, se font plus nombreux. Leurs manières d’opérer sont diverses. Un Tattfoo Tan, promenant des caddies emplis de plantes, installe ces dernières dans l’espace minéral de nos villes déverdies, çà et là. Joël Hubaut, à Angers, plante des légumes comestibles dans les jardinières municipales, et Maria Thereza Alves, dans plusieurs ports, installe des ballasts chargés de graines appelées à germer (Seeds of Change, à partir de 1999, divers lieux). Artists as Family, sur un mode collectif, organise des séances publiques de jardinage, à l’instar de Thierry Boutonnier, qui y ajoute une dimension cénobitique plus marquée : création collective consistant en la sélection d’espèces, la plantation en commun, l’entretien des zones plantées, la récolte des fruits et leur consommation publique le cas échéant, l’organisation de pépinières de plantes en voie de raréfaction avec des services municipaux, la réflexion sur la domestication et ses conséquences.
L’artiste-planteur est, au sens saint-simonien, un organisateur ou plutôt, un réorganisateur : il restitue aux milieux malades de l’anthropisation une qualité naturelle perdue, rendue défaillante par l’impéritie humaine et l’indifférence excessive aux écosystèmes environnementaux. Un ouvrage correctif que le sien. Non planter pour planter, mais pour réinstaurer des îlots de matière vivante, à la manière dont un Francis Hallé, ce serviteur des arbres, s’attache aujourd’hui à reconstituer une forêt primaire, de celles que la fréquentation et l’exploitation humaines ont ruinées et fait quasiment disparaître de la surface de la Terre 15. Cette action, sans doute, n’est pas suffisante, et comment le serait-elle à l’heure de la déforestation galopante et de la « jardinisation » sous contrôle du monde (comprendre, l’horticulture généralisée et son corollaire, le refus de laisser à la nature son droit d’expression, le rejet massif du « sauvage »). Elle s’inscrit exemplairement, toutefois, dans cette entreprise salutaire consistant à récréer des « refuges », des poches de revitalisation végétale et, partant, écosystémique (la plante, donc le sol, avec l’humus, et l’air, avec l’atmosphère).
En l’occurrence, il importe d’envisager l’art de la plantation dans l’optique de ce que certain·e·s théoricien·ne·s dénomment le « plantationocène »16, un terme venant s’ajouter voire remplacer celui d’anthropocène pour qualifier les méfaits de l’exploitation humaine des écosystèmes, engagée par l’ère néolithique (invention de l’agriculture) et intensifiée, à partir des temps modernes, par l’augmentation démographique puis l’entrée dans l’âge technoindustriel et consumériste (« Grande accélération 17 »). Plantationocène ? Yves Citton et Jacopo Rasmi définissent celui-ci, au plus court, comme un système de prédation généralisée : « Son caractère principal est la destruction d’écosystèmes complexes pour mettre en place une monoculture, où les humains et autres êtres vivants se trouvent réduits au statut de ressources à exploiter selon des logiques extractivistes. L’extractivisme se caractérise par la mise en place de techniques d’extraction sélective de certains éléments d’un écosystème complexe, en les traitant comme des “actifs’’ dans lesquels s’investissent des anticipations de profits financiers. » Et de préciser, quant à la nature irresponsable de cet extractivisme : celui-ci opère « sans se soucier des nécessités (temporelles) de renouvellement des ressources ainsi exploitées, ni des conséquences de cette exploitation sur les environnements qui s’en trouvent affectés 18 ». Le plantationocène ou, en coeur de processus, une monoculture, un épuisement des ressources, une nuisance environnementale et par extension, sociale, humaine, générale.

Remailler
Un art de la plantation se piquant d’être responsable (écoresponsable) doit prendre en compte tout ce que détruit et qu’a détruit par le passé le plantationocène et ce, dans une perspective ré-enrichissante. Pas question de persévérer dans cette direction maligne et destructrice : le rétropédalage est de principe.
Pour cette raison essentielle : l’impératif de remailler, de réancrer le sujet humain dans la biosphère, de lui réapprendre — de nous réapprendre — la commensalité généralisée. Il n’y a pas l’homme et le reste des choses, dans une perspective cartésienne. Il est temps d’admettre, au contraire, l’interconnexion de tout avec tout, dirait un Timothy Morton 19. Il y a le cosmos, la Terre et nous, humains, en lui, à titre de constituants, aujourd’hui des parasites essentiellement, demain peut-être (c’est souhaitable) des commensaux. Vivre en bonne intelligence avec l’air, avec les forêts, avec l’humus, avec le fond du ciel, avec le kilogramme de bactéries qui s’active dans nos viscères commande de réviser notre position même dans l’univers. Voici définie la perspective.

  1. Bénédicte Ramade (2015) : « L’art de l’écologie aux limites de l’exposition », Espace Art actuel 110, dossier « Formes de l’écologie », p. 21.
  2. Bénédicte Ramade a consacré une thèse de doctorat aux premiers moments de l’art écologique américain.
  3. Tomás Saraceno (2014) : Museo Aero Solar. Exposition « Anthropocène Monument », Les Abattoirs, Toulouse, 2014.
  4. Jennifer Allora et Guillermo Calzadilla (2012) : 2 Hose Petrified Petrol Pump. Exposition « Rights of Nature », Nottingham Contemporary, Nottingham, 2015.
  5. Tue Greenfort (2013) : Garbage Bay. Exposition, SculptureCenter, New York, 2013.
  6. Paul Ardenne (2002) : Un art contextuel : Création artistique en milieu urbain, en situation, d’intervention, de participation, édition revue et corrigée, Paris : Flammarion, 2004.
  7. « Ensemble, nous décidons que la Terre est un seul et petit jardin ». Cette proposition de Gilles Clément, initiateur du jardin en mouvement et du jardin planétaire, bouleverse, à l’aube du troisième millénaire, la réflexion sur l’homme et son environnement. En embrassant la planète tout entière, enclos autonome et fragile, Gilles Clément appelle à mieux comprendre avant d’intervenir, à observer pour agir, à faire avec plutôt que contre la nature ». Gilles Clément (1995) : Contributions à l’étude du jardin planétaire, illustré par Michel Blazy, Valence : École régionale des beaux-arts. (présentation de l’ouvrage)
  8. Une création réalisée à Pig’s Eye Landfill, Saint Paul (Minnesota). L’artiste recourt à des plantes pouvant accumuler les métaux lourds et les extraire du sol
  9. Pierre Dardot (2005) : « À propos de la multitude », Mouvements 38, pp. 143-147. Sur le concept de « multitude » développé par Michael Hardt et Toni Negri dans Empire (2000), traduction de Denis-Armand Canal, Paris : Exils, 2000.
  10. Olivier Weinstein (2013) : « Comment comprendre les « communs » : Elinor Ostrom, la propriété et la nouvelle économie institutionnelle », Revue de la régulation. En ligne : https://doi.org/10.4000/regulation.10452. Sur la question des ressources en pool commun (common pool ressources).
  11. Non de façon ingénue. L’artiste-planteur est en général un fin connaisseur des réalités biologiques, il double fréquemment son activité artistique d’une activité scientifique (Agnes Denes, Mayer Harrison, le créateur de l’arbre aux quarante fruits Sam van Aken…).
  12. Andrea Accorsi, Giuseppe Brillante, Elena Percivaldi (2018) : L’art de la botanique : Des herbiers de la Renaissance aux illustrations du 19e siècle, Milan : White Star.
  13. Une performance réalisée à plusieurs reprises à des endroits différents. https://lindamolenaar.nu/en/tree-pose-2011
  14. Boris Nordmann (2011) : Fiction corporelle araignée. « Lecture, 1 h 30, plus 30 minutes de retour à la terre ferme ». http://www.borisnordmann.com
  15. Association Francis Hallé pour la forêt primaire (Faire renaître une forêt primaire en Europe de l’Ouest). https://www.foretprimaire-francishalle.org
  16. Anna Lowenhaupt Tsing (2015) : Le champignon de la fin du monde: Sur les possibilités de vivre dans les ruines du capitalisme, traduction de Philippe Pignarre, Paris: La Découverte, 2017. Sur ce concept et ce qui l’incarne, voir notamment le rapport de l’Agence européenne de l’environnement (2020) : The European Environment — State and Outlook 2020, Knowledge for Transition to a Sustainable Europe. En ligne : https://www.eea.europa.eu/soer/publications/soer-2020
  17. Yves Citton et Jacopo Rasmi (2019) : « Le Plantationocène dans la perspective des undercommons », Multitudes 76, pp. 77-78. En ligne : https://www.multitudes.net/le-plantationocene-dansla-perspective-des-undercommons/
  18. Timothy Morton (2010), La Pensée écologique, op. cit.

Archistorm 118 Jan-Fév 2023. L’architecture inclusive, une place pour chacun·e

Inclure et ne pas exclure. Accueillir et non pas rejeter. Élaborer territoires et lieux de vie où dominent la «gentillesse», la «bienveillance», le «souci de l’autre». L’architecture à vocation inclusive doit se rendre accueillante à tous niveaux en faisant sienne cette exigence : mettre à l’index discriminations, ostracismes et mépris social.
Promouvoir des parcours faciles pour les personnes à mobilité réduite, des espaces domestiques pour chacun, des bâtiments permettant l’échange, l’intergénération, la fraternisation (plus la sororisation et le communautarisme de genre et de couleur de peau, ajouteront les «woke») : l’enjeu, pour les architectes et les urbanistes, n’est pas mince. Rien souvent, ou très peu, d’entre les structures héritées, n’est adaptable en l’état : tout reconstruire ? Se contenter de pis-aller ? Le bâtir inclusif, pendant un moment, risque d’aller à tâtons pour cette raison encore : une adhésion non toujours souhaitée au principe même de l’inclusion, loin d’être oecuménique.

Archistorm 117 Nov-Déc 2022. L’architecture inclusive : vers l’accueil maximal

1. Une brève histoire du bâtir égalitaire

Plusieurs mouvements sociaux, depuis la fin du xxe siècle, ont remis sur le devant de la scène le principe égalitariste. La règle de base en est simple : n’exclure personne et mettre à niveau, le plus possible, les conditions sociales. Le care, favorable à des soins peu coûteux pour tous, l’écriture inclusive, une forme d’expression neutralisant les conflits grammaticaux de genre, les mouvements Black Lives Matter, pour le respect des populations de couleur et #MeToo, pour la cause des femmes, ainsi que la pensée décoloniale et woke, pour la défense des opprimés et des minorités, sont quelques-uns des bras armés de ce combat devenu primordial en notre époque néolibérale, néocoloniale et largement demeurée patriarcale, favorisant clivages et tensions. Faut-il corriger les facteurs d’inégalité, quels qu’ils soient ? L’architecture, dans cette partie, n’est pas en reste. Comme à retrouver ses origines lointaines et certains pans de son histoire récente, au demeurant.

Esthétiques de l’anthropocène, effroi, délices, espoir, Journées d’étude, 23 et 24 novembre 2022 , co-organisation, ENSA (École nationale supérieure d’Art), Dijon.

Ces premières journées d’étude « HEARTH » consacrées à l’Art et l’Anthropocène, à l’ENSA Dijon, s’inscrivent dans la continuité et l’évolution des réflexions développées dans l’ARC (atelier de recherche et de création) autour des questions liées à l’art et l’écologie.

Un groupe de spécialistes est réuni exceptionnellement, lors de ces journées d’étude, (artiste et théoricien.ne. : scientifique, géo-anthropologue, agronome, philosophe, paysagiste, historien et critique d’art, directrice des structure associative, engagée dans la protection de la nature), afin d’éclairer les multiples questions liées à notre ère de l’Anthropocène, au réchauffement climatique et à ses conséquences sur terre sur tous les êtres vivants.

Quatre grands thèmes sont proposés dans « HEARTH » par Paul Ardenne, Carlos Castillo et Pauline Lisowski qui tenteront de cerner avec différent.e.s invité.e.s, les enjeux de l’Anthropocène et dévoiler ainsi comment certains artistes et créateurs s’engagent dans une démarche pour l’écologie. Les différent.e.s intervenant.e.s, pourront développer et mettre en lumière leurs points de vue et les possibilités qui s’offrent à nous, pour faire évoluer nos mentalités et nos modes d’actions dans l’art ainsi que dans nos modes de consommation. On s’interrogera sur les possibilités de créer avec des matériaux alternatifs et/ou naturels, en respectant la nature. Il s’agira aussi de cerner les liens que les artistes et créateurs en général tissent avec le vivant, et comment ils se mobilisent avec la création pour affronter les défis que pose l’Anthropocène. L’art participe à cette mutation essentielle que l’Anthropocène impose à l’humanité, un défi où montrer ne suffit pas. Il est nécessaire de s’informer, réfléchir, se rendre intellectuellement disponible aux enjeux cruciaux que posent le dérèglement climatique, l’effondrement de la biodiversité, les menaces sur la santé planétaire (One Health), les pollutions, ainsi que l’épuisement des ressources terrestres.

Avec l’urbanisation, l’artificialisation des sols et la déforestation, l’humain est de plus en plus hors-sol et se coupe des fondements du vivant. L’époque est dorénavant celle des grandes pandémies et d’une dysbiose qui fragilise la santé des humains et des écosystèmes.Tout l’enjeu à venir est de redéployer le vivant et la nature dans le respect de nous-mêmes et pour sortir de l’éco-anxiété qui paralyse la jeunesse (elle touche ¾ des jeunes dans le monde).

Mais la nature nous réserve des surprises. Le potentiel de régénération des écosystèmes est lui-même source de créativité et de nouveaux possibles. La nature contient en elle les germes de sa propre renaissance, même inespérée. Reste à la réhabiliter dans le coeur des humains pour en tirer ses fruits et apporter un nouveau regard, porté sur la vie.

Les diverses thématiques qui alimenteront les débats permettront à chacun.e de se positionner et de trouver des issues possibles pour changer les mentalités de la société, et l’état de la planète.

Les journées d’étude « HEARTH » se divisent en quatre volets / quatre demi-journées

I- « Art et culture de l’effroi au coeur de l’Anthropocène
II- « Avertir »
III- « Agir »
IV- « Rêver »

I- Art et culture de l’effroi au coeur de l’Anthropocène

L’Anthropocène, depuis dix ans au moins, est au coeur de débats nombreux, polémiques souvent : quel est-il ? Le concept forgé par le chimiste et prix Nobel Paul Josef Crutzen à la fin du 20e siècle est-il recevable, contestable, adapté à l’actuelle situation climatique, etc. ? Cette problématique mobilise tant les scientifiques et les politiques que les agents multiples qui forment le secteur culturel urbi et orbi. Le monde devient « Hearth », au coeur (heart) de la terre (Earth) et de son destin, que l’on pressent calamiteux.

Comment le monde de l’art répond-t-il à la menace d’un réchauffement climatique destructeur écologiquement et humainement ? Le « Hearth », ce sont des créations vigiles, d’avertissement, de mise en garde, des créations de type remédiation, également, dont la finalité éthique vise à restaurer une certaine harmonie entre l’humain et ses écosystèmes.

Ce sont aussi des développements poético-esthétiques sur la nouvelle « Grande peur » attachée à l’Anthropocène et à son cours mal cernable. Images de l’effroi collapsologique, de la destruction dystopique de l’humanité, de l’épuisement général de la civilisation humaine, livrées et adoptées non sans parfois une notoire complaisance (la fin du monde est excitante, et photogénique).

Le thème des journées d’étude « Hearth », au-delà de l’examen des formes écologiques et écosophiques d’art qui s’y corrèlent, est porté par cette interrogation : comment vivre les ruines du monde ? comment vivre en ces ruines et pourquoi faire ? qu’en est-il au juste de cette « ruine » ?… La vue rapprochée et la vue de loin, en l’occurrence, se chevauchent, se brouillent réciproquement. Le « Hearth » connaît la dystole et la systole mentale, l’heure est au balancement conceptuel sur fond de tentative de réarmement intellectuel et sensible (qu’est-ce qu’un humain, au juste, quand l’environnement qu’il a domestiqué à son profit induit sa potentielle destruction ?).

La question est aussi, lancinante, entêtante, viciant notre potentiel de joie : comment nous aimer dorénavant, nous autres humains, nos propres fossoyeurs ?

II- Avertir

Au vu de la crise environnementale, un des premiers réflexes de l’artiste est d’avertir. L’art ne traite pas toujours de la beauté du monde ou de la complexité de ses représentations possibles. Il peut aussi se faire contextuel. Il s’attache dans ce cas à opérer en fonction de la réalité telle qu’elle se donne cours.
Un art dit « de contexte » voit l’artiste, en témoin de son époque, réagir selon une situation donnée et créer en regard de cette dernière une oeuvre d’art qui y est liée de façon directe.

III- Agir

La pulsion qui consiste à avertir induit que l’on agisse, que l’on ne demeure pas bras ballants face à une situation devenue scandaleuse ou insoutenable. L’acte d’avertissement, en soi, est déjà une forme d’action, sur le mode de l’intervention, de cette classique topique de l’art contextuel.

Les sciences du vivant amènent de l’espoir en développant des actions pour régénérer la nature et les écosystèmes. L’agroécologie est une voie de restauration des équilibres écosystémiques et d’harmonie entre l’humain, l’animal, le végétal et les écosystèmes. La végétalisation est au coeur d’un futur renouveau plein d’espoirs. Elle appelle des actions et un combat pour réintroduire la nature dans toutes les strates de la société.

IV- Rêver

On peut épiloguer sans fin sur la valeur de ce type d’actions artistiques, ou plutôt sur ce qui pourrait bien être leur non-valeur potentielle — ces actions, le fait d’artistes, ont-elles jamais une chance, notamment, de se montrer vraiment « opérationnelles », vraiment efficaces au niveau concret ? Pointer leur caractère factuel et isolé, autrement dit leur peu d’efficience, est légitime. Reste que l’art, à sa décharge, n’est pas d’abord une pratique productive comme peut l’être l’action de militants ou d’entreprises engagés dans un combat ou une production spécifique. L’art ne construit pas le monde, il met en forme le possible de cette construction. Demander à l’artiste « vert » d’être le sauveur d’un monde dont l’environnement se délite sous ses yeux est pertinent mais excessif.

Alors quoi ? L’artiste « vert » a à coeur, non l’illusion que l’on peut sauver le monde avec des créations nées d’abord de son imaginaire mais, en espérant qu’il soit contagieux, le principe même de l’exemplarité, de la position pionnière et pédagogique.

Julie Tocqueville “Cette île est la dernière sur la seine avant la mer”.

Par Paul Ardenne, Catalogue La Ronde, Musée des Beaux-arts de Rouen, juin 2022.

Portrait de Julie Tocqueville en Museau devant Sic vos non vobis
Concert (musique hybride électro- nique-pop) donné par l’artiste le 3 juillet 2021 au Musée des Beaux-Arts de Rouen (La Ronde #5)

L’artificialisation du monde, sans cesse accrue, nous éloigne de nos écosystèmes naturels ou du peu qu’il en reste dorénavant : plus de forêts primaires mais des bois exploités méthodiquement, plus de paysages mais des zones rurales mitées par l’activité humaine. Plus même de véritables parcs naturels mais des Disneylands de plein air à l’image du Grand Canyon du Colorado. Il y a un demi-siècle, un espace sauvage ; aujourd’hui, un parc d’attraction avec parkings géants, navettes, circuit imposé, hall d’accueil muséal, guides et vendeurs de catalogues. Le paysagisme, s’il existe encore, ne peut qu’être anachronique.

Julie Tocqueville, artiste rouennaise, appartient à l’âge de l’artificialisation. Son rapport à l’élément naturel, en toute logique, est faussé, travaillé par la mise en scène, l’esprit de décoration, pour cette raison : l’univers paysager est pour l’essentiel entré dans l’âge du faux. La « nature », son reliquat, plutôt, est devenue un espace touristique, de ressourcement, pour nous reposer de nos existences métropolitaines soumises à la saccade, au grouillement humain et à la pollution. Un décor, pour le dire autrement. Un théâtre, un espace illusionniste doublé d’une vocation à la consolation. Ce monde que nous avons perdu. La relation à un monde « vert » qui faisait l’essentiel de notre rapport au monde, jadis – tout a disparu, faisons comme si le lien pouvait être renoué. La plupart des œuvres de Julie Tocqueville se consacrent à évoquer la « nature », nos écosystèmes familiers : les forêts, les montagnes, les paysages tropicaux touffus. Mais non conventionnellement. L’artiste, de la sorte, recourra à la photographie mais accompagnera celle-ci d’espèces végétales réelles, sous l’espèce du doublon : mise en scène du vrai et du factice, d’un même tenant, dans des installations parfois monumentales à double entrée, la copie, le réel. Encore, au panneau d’affichage ou au diorama mais sans nul effet d’illusion : on voit immanquablement les arrières, le dispositif scénique intégré au corps même de l’œuvre fait de celle-ci un curieux totem évoquant l’ère de la publicité reine et de la consommation. Face à ses compositions lui montrant tant la scène que la coulisse, le spectateur oscille entre deux sentiments, celui du constat (la dégradation environnementale), celui du regret (tant pis mais dommage, vraiment).

Cette île est la dernière sur la seine avant la mer. Il s’agit-là de l’intitulé de la dernière en date des créations de Julie Tocqueville, proposée en plein air cette fois, à Rouen même, sur l’île Lacroix – l’ultime île de la Seine avant la Manche, en effet. Dans le cadre du plan de renaturation de la Ville de Rouen, l’artiste s’est vu proposer la réalisation d’une œuvre publique dans le périmètre d’une zone déblayée jouxtant la Seine appelée à accueillir un futur jardin municipal. Sa nouvelle création prend la forme d’une vue photographique monumentale d’un paysage naturel présentée, accompagnée de rocaille, sur un panneau publicitaire. Effet de diorama, théâtral de nouveau, où qui profitera du jardin pourra méditer sur le statut véritable de la nature aujourd’hui et ce, non loin de l’environnement hautement urbanisé de l’île Lacroix.

Précision : Cette île est la dernière sur la seine avant la mer, au-delà de sa théâtralisation, s’inscrit dans ce mouvement dénommé « Poétique de la plantation ». L’œuvre, dans un esprit commensal, est en effet appelée à être colonisée par les espèces naturelles du futur jardin, végétaux comme animaux, à titre de piège à biodiversité. Intéressant mouvement, en l’occurrence, que celui que suggère cette proposition plasticienne finalement pas si insolite qu’il n’y paraît : où le jardin naît de la nature reconfigurée, l’œuvre d’art vient redonner à cette même nature les moyens de se reconstituer.

Rencontre internationale, Rio de Janeiro // « L’Art et l’Écologie : Politiques de l’Existence »

Université fédérale. Rio de Janeiro (Brésil)
Rencontre internationale
« L’Art et l’Écologie : Politiques de l’Existence »

Conférence de Clôture
Paul Ardenne (France) 16 mars 2022
14h heure locale – 18h (heure française)
en direct, en ligne sur YOUTUBE


Art écologique et anthropocène
L’espoir culturel
Paul Ardenne

L’émergence actuelle de la bioculture, la « culture du vivant », fait naître l’espoir d’un nouveau contrat entre l’homme et son environnement naturel ou ce qu’il en reste, dans le sens de la responsabilité et du respect. Ceci, sans se faire trop d’illusions. En notre monde vendu à la marchandise, au capital, à la consommation hyperbolique et à l’hédonisme futile, la culture compte peu. Pour nos dirigeants, surtout : elle importe moins que l’économie et le contrôle politique et social, objets de toutes leurs attentions. Mais il n’empêche, et cela autorise à ne pas désespérer : la culture, pour les peuples, pour les simples citoyens, importe, qui y trouvent un moyen d’opposer au point de vue mainstream leur propre conception du monde. Cet acte de libre pensée, pour les individus que préoccupe la question environnementale, affine le concept de bioculture. Cette « mise en pensée » de la bioculture, ce tournant bioculturel de la civilisation sont un facteur d’espérance. Ils dessinent, en pesant sur les mentalités, les contours d’un avenir moins sombre parce que plus vivable.

L’anthropocène, qui est une forme de la « fin du monde », est aussi paradoxalement un facteur de régénération culturelle, le début d’un autre monde, un rêve d’avenir si nous posons comme nécessaire de vaincre ses distorsions. Période calamiteuse pour l’humanité à cause des agissements de l’humanité elle-même, l’anthropocène mutera si l’humanité en décide. Si nous réagissons avec assez de volonté, d’énergie et de moyens, l’anthropocène peut devenir cette période qui sera celle de la restauration du lien environnemental. Lire la suite de la conférence

« The Green Path » par Paul Ardenne dans ArtCritique

Dimitra Dede, Glacier du Rhône, Photographie imprimée sur papier Canson, 51.5cm x 50cm, 2019 © Dimitra Dede

« SHARING PERAMA » : partager Perama. Mais qu’est-ce que Perama ? Cette lointaine banlieue d’Athènes, en bord de mer Egée, a été créée il y a un siècle conséquemment à l’effondrement de l’Empire ottoman et le transfert de populations grecques depuis l’Asie mineure. Perama est aussi le terminal des ferrys pour Salamine et la mer Egée. Ce lieu d’habitat récent et moderniste rassemble une population, sinon marginalisée par la crise économique que connaît la Grèce depuis dix ans, à tout le moins maintenue aux frontières de la pauvreté. C’est là que Barbara Polla, qui préside aux destinées de la galerie Analix Forever (Genève), a amarré son bateau.

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