Ces premières journées d’étude « HEARTH » consacrées à l’Art et l’Anthropocène, à l’ENSA Dijon, s’inscrivent dans la continuité et l’évolution des réflexions développées dans l’ARC (atelier de recherche et de création) autour des questions liées à l’art et l’écologie.
Un groupe de spécialistes est réuni exceptionnellement, lors de ces journées d’étude, (artiste et théoricien.ne. : scientifique, géo-anthropologue, agronome, philosophe, paysagiste, historien et critique d’art, directrice des structure associative, engagée dans la protection de la nature), afin d’éclairer les multiples questions liées à notre ère de l’Anthropocène, au réchauffement climatique et à ses conséquences sur terre sur tous les êtres vivants.
Quatre grands thèmes sont proposés dans « HEARTH » par Paul Ardenne, Carlos Castillo et Pauline Lisowski qui tenteront de cerner avec différent.e.s invité.e.s, les enjeux de l’Anthropocène et dévoiler ainsi comment certains artistes et créateurs s’engagent dans une démarche pour l’écologie. Les différent.e.s intervenant.e.s, pourront développer et mettre en lumière leurs points de vue et les possibilités qui s’offrent à nous, pour faire évoluer nos mentalités et nos modes d’actions dans l’art ainsi que dans nos modes de consommation. On s’interrogera sur les possibilités de créer avec des matériaux alternatifs et/ou naturels, en respectant la nature. Il s’agira aussi de cerner les liens que les artistes et créateurs en général tissent avec le vivant, et comment ils se mobilisent avec la création pour affronter les défis que pose l’Anthropocène. L’art participe à cette mutation essentielle que l’Anthropocène impose à l’humanité, un défi où montrer ne suffit pas. Il est nécessaire de s’informer, réfléchir, se rendre intellectuellement disponible aux enjeux cruciaux que posent le dérèglement climatique, l’effondrement de la biodiversité, les menaces sur la santé planétaire (One Health), les pollutions, ainsi que l’épuisement des ressources terrestres.
Avec l’urbanisation, l’artificialisation des sols et la déforestation, l’humain est de plus en plus hors-sol et se coupe des fondements du vivant. L’époque est dorénavant celle des grandes pandémies et d’une dysbiose qui fragilise la santé des humains et des écosystèmes.Tout l’enjeu à venir est de redéployer le vivant et la nature dans le respect de nous-mêmes et pour sortir de l’éco-anxiété qui paralyse la jeunesse (elle touche ¾ des jeunes dans le monde).
Mais la nature nous réserve des surprises. Le potentiel de régénération des écosystèmes est lui-même source de créativité et de nouveaux possibles. La nature contient en elle les germes de sa propre renaissance, même inespérée. Reste à la réhabiliter dans le coeur des humains pour en tirer ses fruits et apporter un nouveau regard, porté sur la vie.
Les diverses thématiques qui alimenteront les débats permettront à chacun.e de se positionner et de trouver des issues possibles pour changer les mentalités de la société, et l’état de la planète.
Les journées d’étude « HEARTH » se divisent en quatre volets / quatre demi-journées
I- « Art et culture de l’effroi au coeur de l’Anthropocène
II- « Avertir »
III- « Agir »
IV- « Rêver »
I- Art et culture de l’effroi au coeur de l’Anthropocène
L’Anthropocène, depuis dix ans au moins, est au coeur de débats nombreux, polémiques souvent : quel est-il ? Le concept forgé par le chimiste et prix Nobel Paul Josef Crutzen à la fin du 20e siècle est-il recevable, contestable, adapté à l’actuelle situation climatique, etc. ? Cette problématique mobilise tant les scientifiques et les politiques que les agents multiples qui forment le secteur culturel urbi et orbi. Le monde devient « Hearth », au coeur (heart) de la terre (Earth) et de son destin, que l’on pressent calamiteux.
Comment le monde de l’art répond-t-il à la menace d’un réchauffement climatique destructeur écologiquement et humainement ? Le « Hearth », ce sont des créations vigiles, d’avertissement, de mise en garde, des créations de type remédiation, également, dont la finalité éthique vise à restaurer une certaine harmonie entre l’humain et ses écosystèmes.
Ce sont aussi des développements poético-esthétiques sur la nouvelle « Grande peur » attachée à l’Anthropocène et à son cours mal cernable. Images de l’effroi collapsologique, de la destruction dystopique de l’humanité, de l’épuisement général de la civilisation humaine, livrées et adoptées non sans parfois une notoire complaisance (la fin du monde est excitante, et photogénique).
Le thème des journées d’étude « Hearth », au-delà de l’examen des formes écologiques et écosophiques d’art qui s’y corrèlent, est porté par cette interrogation : comment vivre les ruines du monde ? comment vivre en ces ruines et pourquoi faire ? qu’en est-il au juste de cette « ruine » ?… La vue rapprochée et la vue de loin, en l’occurrence, se chevauchent, se brouillent réciproquement. Le « Hearth » connaît la dystole et la systole mentale, l’heure est au balancement conceptuel sur fond de tentative de réarmement intellectuel et sensible (qu’est-ce qu’un humain, au juste, quand l’environnement qu’il a domestiqué à son profit induit sa potentielle destruction ?).
La question est aussi, lancinante, entêtante, viciant notre potentiel de joie : comment nous aimer dorénavant, nous autres humains, nos propres fossoyeurs ?
II- Avertir
Au vu de la crise environnementale, un des premiers réflexes de l’artiste est d’avertir. L’art ne traite pas toujours de la beauté du monde ou de la complexité de ses représentations possibles. Il peut aussi se faire contextuel. Il s’attache dans ce cas à opérer en fonction de la réalité telle qu’elle se donne cours.
Un art dit « de contexte » voit l’artiste, en témoin de son époque, réagir selon une situation donnée et créer en regard de cette dernière une oeuvre d’art qui y est liée de façon directe.
III- Agir
La pulsion qui consiste à avertir induit que l’on agisse, que l’on ne demeure pas bras ballants face à une situation devenue scandaleuse ou insoutenable. L’acte d’avertissement, en soi, est déjà une forme d’action, sur le mode de l’intervention, de cette classique topique de l’art contextuel.
Les sciences du vivant amènent de l’espoir en développant des actions pour régénérer la nature et les écosystèmes. L’agroécologie est une voie de restauration des équilibres écosystémiques et d’harmonie entre l’humain, l’animal, le végétal et les écosystèmes. La végétalisation est au coeur d’un futur renouveau plein d’espoirs. Elle appelle des actions et un combat pour réintroduire la nature dans toutes les strates de la société.
IV- Rêver
On peut épiloguer sans fin sur la valeur de ce type d’actions artistiques, ou plutôt sur ce qui pourrait bien être leur non-valeur potentielle — ces actions, le fait d’artistes, ont-elles jamais une chance, notamment, de se montrer vraiment « opérationnelles », vraiment efficaces au niveau concret ? Pointer leur caractère factuel et isolé, autrement dit leur peu d’efficience, est légitime. Reste que l’art, à sa décharge, n’est pas d’abord une pratique productive comme peut l’être l’action de militants ou d’entreprises engagés dans un combat ou une production spécifique. L’art ne construit pas le monde, il met en forme le possible de cette construction. Demander à l’artiste « vert » d’être le sauveur d’un monde dont l’environnement se délite sous ses yeux est pertinent mais excessif.
Alors quoi ? L’artiste « vert » a à coeur, non l’illusion que l’on peut sauver le monde avec des créations nées d’abord de son imaginaire mais, en espérant qu’il soit contagieux, le principe même de l’exemplarité, de la position pionnière et pédagogique.





