Category Archives: Presse

Publication Art press, n° 514, oct. 2023, “Jeanne Susplugas”, La Citadelle, Villefranche-sur-Mer.

“Regarde-moi, tue-moi”, “Le musée passionnel”, “Elmgreen et Dragset”, “Laura Lamiel”

Publications : Chronique “Regarde-moi, tue-moi”, “5O ans du CAPC de Bordeaux : le musée passionnel”, “Elmgreen et Dragset”, Centre Pompidou-Metz, “Laura Lamiel”, Palais de Tokyo, Paris.

Deux articles parus dans la REVUE DE PARIS, avril-mai 2023

A.B. « Artificial Beauty » : la notion de beauté selon l’IA Midjourney, applications pratiques (paysage, corps humain, animal, végétal, architecture…).

2. Notes sur la beauté artificielle numérique et autres considérations métaboliques à propos de la machine-artiste

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Archistorm 118 Jan-Fév 2023. L’architecture inclusive, une place pour chacun·e

Inclure et ne pas exclure. Accueillir et non pas rejeter. Élaborer territoires et lieux de vie où dominent la «gentillesse», la «bienveillance», le «souci de l’autre». L’architecture à vocation inclusive doit se rendre accueillante à tous niveaux en faisant sienne cette exigence : mettre à l’index discriminations, ostracismes et mépris social.
Promouvoir des parcours faciles pour les personnes à mobilité réduite, des espaces domestiques pour chacun, des bâtiments permettant l’échange, l’intergénération, la fraternisation (plus la sororisation et le communautarisme de genre et de couleur de peau, ajouteront les «woke») : l’enjeu, pour les architectes et les urbanistes, n’est pas mince. Rien souvent, ou très peu, d’entre les structures héritées, n’est adaptable en l’état : tout reconstruire ? Se contenter de pis-aller ? Le bâtir inclusif, pendant un moment, risque d’aller à tâtons pour cette raison encore : une adhésion non toujours souhaitée au principe même de l’inclusion, loin d’être oecuménique.

Archistorm 117 Nov-Déc 2022. L’architecture inclusive : vers l’accueil maximal

1. Une brève histoire du bâtir égalitaire

Plusieurs mouvements sociaux, depuis la fin du xxe siècle, ont remis sur le devant de la scène le principe égalitariste. La règle de base en est simple : n’exclure personne et mettre à niveau, le plus possible, les conditions sociales. Le care, favorable à des soins peu coûteux pour tous, l’écriture inclusive, une forme d’expression neutralisant les conflits grammaticaux de genre, les mouvements Black Lives Matter, pour le respect des populations de couleur et #MeToo, pour la cause des femmes, ainsi que la pensée décoloniale et woke, pour la défense des opprimés et des minorités, sont quelques-uns des bras armés de ce combat devenu primordial en notre époque néolibérale, néocoloniale et largement demeurée patriarcale, favorisant clivages et tensions. Faut-il corriger les facteurs d’inégalité, quels qu’ils soient ? L’architecture, dans cette partie, n’est pas en reste. Comme à retrouver ses origines lointaines et certains pans de son histoire récente, au demeurant.

« Le Pritzker Price à Francis Kéré : Learning From Gando » dans ARCHISTORM, n°114

Le jury 2022 du Pritzker Price, présidé par le Chilien Alejandro Aravena, a sacré en mars dernier Diébédo Francis Kéré, architecte burkinabé adepte du low tech, du low cost et du circuit court. Les réalisations de cet Africain du Sub-Sahel ont le goût de la terre natale, celle de Gando, Burkina-Faso, où ce charpentier devenu ensuite architecte a grandi avant de bénéficier d’une bourse à Berlin et d’y ouvrir en 2005 son agence, KÉRÉ ARCHITECTURE. Premier lauréat africain du Pritzker, Francis Kéré mérite amplement son prix, n’aurait-il pas manqué çà et là de voix mal embouchées préférant voir dans son élection un effet de la discrimination positive, de l’actuelle mode «décoloniale» et du Black Lives Matter.

« Biennale d’architecture de Venise, le bilan : une biennale pour y voir moins clair » dans ARCHISTORM, n°111

“How will we live together?” — «Comment vivrons-nous ensemble, à l’avenir ?» Sous cet intitulé interrogatif et lapidaire, la 17e Biennale internationale d’architecture de Venise a proposé en cette année 2021 une question piège, de celles dont on peut craindre qu’elle n’accouche de fausses expertises. Était-ce là l’intention malicieuse ou perverse (rayer la mention inutile) de son commissaire, l’architecte libanais Hashim Sarkis ? Les réponses à l’interrogation, on le pressent, sont diverses, époque trouble telle que la nôtre oblige. Formulées avec autorité par les architectes participants, chacun y allant de son point de vue bien formé, elles invitent à réfléchir autant au devenir architectural qu’à celui de l’expertise, en crise profonde quelque domaine que l’on aborde — dont l’architecture et l’urbanisme.

“Hors de notre vue mais pas de l’esprit du temps” par Paul Ardenne, dans REVUE DE PARIS – Partout où passe le vent

(N°34) Par Paul ARDENNE – 

La problématique dite de l’« artiste sans œuvre » n’est pas expressément nouvelle. Dès le 19e siècle, dans les cercles les plus radicaux, la question est posée de l’utilité de l’œuvre d’art. Au juste, à quoi cela sert-il, une œuvre d’art ? On l’utilise diversement pour la regarder, pour décorer une place publique, pour égayer notre quotidien… sans que notre vie en soit changée, du moins de façon notoire. Ce critère d’agrément, de futilité disent certains, cet aspect accessoire de l’œuvre d’art peuvent légitimement déranger. Ils fournissent au demeurant la célèbre formule de Nietzsche pour qui « nous avons l’art pour ne pas mourir de la vérité », comprendre : l’art est une consolation, un narcotique, il nous allège un instant, le temps que nous lui consacrons, à la pensée de la mort, de notre finitude inéluctable, et de l’absurdité ou peu s’en faut de toute vie. Un écran de fumée.

S’alléger de l’œuvre d’art, soit. Mais que reste-il à l’artiste, s’il renonce à créer ? Que lui reste-t-il, d’abord, pour se faire valoir auprès d’autrui ? Le narcissisme, Freud nous le garantit, est le plus puissant moteur de la création moderne : on crée d’abord pour être admiré(e), aimé(e). Que lui reste-il encore, à ce même artiste, s’il entend bien jouir de faire, de concevoir, de fabriquer ? La fabrique, le « travail » sont pour tout créateur des données essentielles, rien moins que salvatrices (Hannah Arendt, avec raison, fait du travail créatif le Travail par excellence, avec majuscule) : enlevez-moi mon temps de création et je dépéris, je verse dans la mélancolie.

Se « désartialiser », enlever de soi l’obsession de créer : pour ce faire, certains artistes modernes qui ne souhaitent pas expressément être « utiles », faire œuvre d’utilité, fourbir le monde des collectionneurs et des musées en créations de leur cru vont répondre par une posture subtile, la posture ironique. Ceux-ci continuent de créer mais tout en faisant croire qu’ils ne sont pas dupes du peu de valeur de ce qu’ils créent. Les Incohérents, le Duchamp inventeur du readymade, les artistes revendiquant d’être « idiots » (dit Jean-Yves Jouannais), l’artiste s’autoproclamant « nul » Jacques Lizène…, en un même ensemble tactique, invalident pour partie l’« Art » avec majuscule, le « Grand art », renvoyé par eux au rang de « vestige » (Jean-Luc Nancy). Ce tour de passe-passe, en matière de « faire », est toutefois peu opératoire. Car même créer une œuvre d’art « nulle », à l’image des bien-nommées Croûtes de Gérard Gasiorowski, copies méticuleuses des toiles des plus mauvaises des peintres du dimanche, n’est pas si simple, et cela en passe encore par la livraison d’une œuvre d’art visible. Inefficace.

S’alléger de l’œuvre d’art, alors quoi ? Une autre stratégie, plus brutale, moins ambiguë celle-là, consiste à cette fin dans la pratique de l’art dit « furtif ». L’art furtif apparaît avec les années 1960 dans le sillage de l’art conceptuel, une forme de création critique dont l’obssession est d’échapper à l’esthétique de la « belle œuvre », de la séduction du regard (même en le dégoûtant) et de garder la haute main théorique en matière de « sens » de la création. L’artiste plasticien adepte de l’art furtif crée sans rien montrer de ce qu’il fait, à l’image de Douglas Huebler en 1969, lorsque l’artiste américain dépose entre deux bâtiments, aussi invisible qu’indétectable, un gaz inerte. À l’image, encore, d’un Fred Sanback, dont les sculptures minimalistes de fil s’avèrent si ténues qu’elles en deviennent parfois moins que visibles.

Décider d’être un artiste « furtif » n’est pas innocent, au regard d’abord de la question de la notoriété, toujours essentielle dans le processus de la reconnaissance publique, en général chère aux artistes. « Être connu, visible, désigné, reconnu comme un artiste ? Non merci. » Laurent Sfar, sur la place de la République, à Paris, déambule avec aux pieds des chaussures qu’il a dotées avec Sandra Foltz de lacets de plusieurs mètres de long, en simple marcheur. Irruption physique de type performance que celle-ci, insolite pour sûr (« Monsieur, vous n’avez pas noué vos lacets ! ») mais qui ne dit pas son nom, qui n’annonce pas to go : « Attention artiste ! Attention art dans le périmètre ! »

Sandra Foltz et Laurent Sfar, Marche, 2000, vidéo documentaire, 1 mn 32 sec. Images extraites de la vidéo.

L’art furtif a cette particularité amoindrissante notoire, chère à l’artiste, du coup, qui entend ne pas se stariser, qui s’applique à créer dans son coin sans alerter personne, qui refuse de faire œuvre et en même temps de faire spectacle : il est pour l’essentiel invisible, il advient sans que quiconque ne s’en rende compte ou sans qu’on le prenne pour ce qu’il est réellement, à la manière du « perturbationisme » d’un Gilbert Coqalane. Ce dernier, devant un restaurant de l’enseigne de restaurant Buffalo Grill, attaque une sculpture de bison qui y sert de décor avec un arc et une flèche – il se fait arrêter bientôt par la police pour trouble à l’ordre public et dégradation de propriété privée.

En termes symboliques et sémantiques, la pratique furtive « recadre » l’artiste qui la pratique, du son plein gré. Elle indique que la reconnaissance transnarcissique inhérente au processus courant de la création qui s’expose n’est pas, cette fois, recherchée. Schéma ordinaire : « Je te donne mon œuvre, moi artiste, et toi spectateur tu me reconnais ; ce faisant, je te permets d’exister tout comme moi je te permets d’exister comme mon juge ». Schéma inhérent à l’art furtif : « Moi artiste, je ne te donne rien, à toi spectateur. Si je ne me passe pas de moi (je crée), je me passe fort bien de toi (je ne te montre rien de ma création) ». Rupture du pacte conventionnel exposition-reconnaissance-admiration-élection propre à la mise en circuit publique de l’œuvre d’art par son concepteur.

L’art furtif, que beaucoup ne comprennent pas voire jugent stupide (à quoi peut bien servir une création en arts visuels si on ne la voit pas et si on nous la cache ?), est une pratique autant qu’un symptôme, celui d’une lassitude des codes mêmes de l’élection et de ses ressorts (la notoriété construite de toutes pièces, la mode, l’appui médiatique, la valeur acquise sur le marché des biens culturels). L’artiste furtif, pour sa part, aborde l’art de façon différente, non en opposant de principe (il mène une guerre en général solitaire et autocentrée) mais en personnalité lasse. En personne fatiguée, pour le dire autrement, des codes de validation, et de l’œuvre d’art, et de l’artiste qui la produit. Pour créer heureux, créons cachés. Hors de la vue publique.

De là, la consolidation d’un principe d’invisibilité de l’art qui accouche avec le tournant du 21e siècle d’un genre à part entière, l’art dit « invisuel » – non visuel, pas visible, se refusant au spectaculaire et même au principe du spectacle. Corina Chutaux Mila, autrice d’Esthétique de l’art invisuel (2021), définit celui-ci de la sorte : « L’art invisuel est une forme qui met en valeur l’art sans s’embarrasser du matériel, du réel, en somme : on se déleste de l’idée même d’’’œuvre d’art’’ ». Précisions ? « « Les artistes de l’Invisuel, continue-t-elle, se servent dans leurs pratiques des objets ordinaires, sans pour autant les détourner de leur nature première, pour les transformer en objets d’art. L’Art Invisuel peut être le conteneur de différents mouvements artistiques, des stratégies disruptives pensées à l’encontre du système artistique même, des modes de vie, et pour simplifier, de toute attitude, activité ou idée qui révélerait des qualités artistiques non rétiniennes, et par conséquent invisuelles. »

L’art invisuel ? Une création échappant à la perception, visuelle d’abord et par extension, médiatique. Une création, en cela, retorse au principe de la communication et militant contre celle-ci au regard de ce qu’elle est devenue à l’ère capitaliste-consumériste-individualiste, une propagande de marché (Mario Perniola, Contre la communication). Comme tel, agent de dérèglement et de trouble dans l’artosphère, l’art invisuel pose le problème de la disparition non de l’art mais celle de ses appareils de légitimation (le « MMM », le « 3M », « Milieu, Marché, Musée »), tout en s’appliquant à promouvoir à terme cette disparition. Un chantier esthétique fort, qui requerra, n’en doutons pas, un long et obstiné combat.

Paul Ardenne est écrivain et historien de l’art. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages consacrés à l’art et à la culture d’aujourd’hui : Art, l’âge contemporainUn Art contextuelExtrêmeArt, le présentHeureux, les créateurs ?Un Art écologique… Il rédige actuellement l’ouvrage Hors de vue. De l’invisuel et de la disparition physique de l’art pour les éditions de la Biennale de Paris.

Photo en-tête : L’artiste Gilbert Coqalane décoche des flèches dans la sculpture en forme de bison trônant devant le restaurant Buffalo Grill d’Essey-les-Nancy, 2021.

L’article en ligne ici

“Roméo Mivekannin. Du blanc au noir” par Paul Ardenne, dans ICTUS n°1, juillet septembre 2021

Les Trois Grâces, Venus hottentotes, Jardin d’Acclimatation de Paris, 1888, 2020, Acrylique, bains d’élixir sur toile libre, 273 x 255 cm. Courtesy Galerie Eric Dupont, Paris

De la façon la plus assumée qui soit, Roméo Mivekannin est ce que l’on appelle, dans le jargon de l’art contemporain, un “appropriationniste”. Point de départ de ses toiles : des photographies ethnographiques de l’ère coloniale, des tableaux, aussi, surtout, de maître occidentaux. L’artiste en détourne le contenu par reproduction à l’identique non sur des toiles conventionnelles mais sur des bouts de textile récupérés, batiks et autres toiles de jute cousus entre eux et trempés dans divers élixirs, selon la tradition Vaudou. Pas de couleur mais, de façon uniforme et déclarative, du noir et blanc. Effet sépia garanti, comme à évoquer un monde ancien qui perdurerait malgré tout. […]

“Lacaton & Vassal, Pritzker Prize 2021, L’humilité intelligente” par Paul Ardenne. À paraître dans le prochain Archistorm (n° 108, mai-juin 2021)

Le 16 mars dernier, les architectes français Anne Lacaton et Jean-Philippe Vassal se sont vu décerner le prix Pritzker 2021, récompense de haut vol du milieu archi- tectural. Cette consécration, après celles de Christian de Portzamparc et de Jean Nouvel, fait d’eux les troisièmes Français à recevoir ce prix créé en 1979.

La « pritzkerisation » de Lacaton & Vassal célèbre une conception économe, radicale et écosophique de l’archi- tecture. À l’évidence, elle signale aussi une inflexion de l’esprit du Pritzker Prize, en ce sens pas malvenu, vers la promotion de l’éthique et de l’architecture pour tous. Fini, le sacre répétitif des starchitectes hype2. L’heure est venue des architectes responsables (pingres, grinceront certains), un chemin ouvert depuis quelques années déjà par le Pritzker Prize avec la célébration d’Alejandro Aravena et Grafton Architects, tenants, à l’instar de Lacaton & Vassal, de l’architecture modeste à vocation sociale. Le signe que les temps changent? Assurément.